Ctilalli Domínguez Domínguez

Thèse débutée le 01/01/2014 sous la direction de Louise Bénat-Tachot.

Date de soutenance : le 10/12/2021

Composition du jury: Laura de Mello e Souza, professeur - Sorbonne Université, Louise Bénat-Tachot, professeur émérite-Sorbonne Université, Serge Gruzinski, directeur de recherche émérite - CNRS-France (rapporteur), Christophe Giudicelli, professeur des universités- Sorbonne Université, Maria Elisa Velazquez, directeur de recherche - INAH Mexique, Antonio de Almeida Mendes, maître de conférences - Université de Nantes (rapporteur)

Titre de la thèse: Veracruz: port, ville, carrefour des mondes. Les Afro-ibériques et les Luso-africains dans la construction de la ville de Veracruz, 1570-1650

 

Ctilalli Domínguez Domínguez

Résumé de la thèse :

 

Cette thèse est un travail de recherche qui s'attache à l'analyse de la composante noire dans sa plus grande complexité. Le composant africain ou d’origine africaine a été un élément social essentiel dans le processus de formation des sociétés américaines à partir de l’'implantation des Castillans dans le Nouveau Monde, spécifiquement, dans la ville de Veracruz. Cette ville, fondée en 1519 par le conquistador espagnol Hernán Cortés, est l'espace où convergent les histoires des Africains et de leurs descendants, et c’est l’objet de cette étude.

Ce travail de restitution de la complexité de la composante noire dans une perspective socio-économique a pour cadre la ville de Veracruz entre 1570 et 1650, période durant laquelle la monarchie hispanique a renforcé sa présence dans l'Atlantique. Cela signifie que la navigation commerciale entre les ports du circuit atlantique a entraîné un échange et une circulation constants de personnes, de connaissances et d'objets entre l'Europe, l'Afrique et l'Amérique. Nous nous sommes donc tournés vers les archives espagnoles, portugaises et mexicaines, ce qui nous a permis d'observer comment, à l'échelle locale, à Veracruz, on trouvait des individus d'origine africaine qui avaient une histoire particulière, ou qui, pour le dire autrement, échappaient au cliché de l'esclavage, auquel la présence africaine aux Amériques a toujours été associée.

En ce sens, ces archives ont révélé d’autres facettes de cette présence en particulier s’agissant du traitement social des Africains et de leurs descendants dans les sociétés créées par les Castillans à l'époque moderne. A partir des informations contenues dans ces archives, deux groupes spécifiques sont apparus : les enfants d'Africains nés dans la péninsule ibérique, et les descendants d'unions mixtes entre Portugais et Africains nés dans les archipels et colonies portugaises de l'Atlantique africain.

Nous avons également pu identifier certaines de leurs stratégies juridiques et sociales  utilisées pour s'intégrer dans la société coloniale de Veracruz. Certains ont eu recours à des pétitions adressées à la Casa de la Contratación de Séville, ainsi qu'à la preuve de leur appartenance à la "caste noire chrétienne", comme ce fut le cas de Francisco González (1566-1577), un Noir de Séville. D'autres, comme dans le cas des luso-africains, s'identifiaient comme Portugais et cherchaient à cacher leur ascendance juive afin de passer inaperçus du Tribunal du Saint Office au Mexique, qui entre 1640 et 1650 les persécuta jusqu'à ce qu'ils soient bannis de la Nouvelle Espagne.

L'observation des Afro-ibériens et des Luso-africains en tant qu'éléments de la complexité de la composante noire qui existait dans la Veracruz colonial, nous a également permis de mettre en lumière le fait que ces individus d'ascendance africaine étaient porteurs, à différents niveaux, d'une culture ibérique et atlantique, qui était essentielle pour promouvoir la colonisation castillane aux Amériques. L'analyse des trajectoires de ces individus a révélé que certains des Africains et de leurs descendants ont été des acteurs clés de cette première mondialisation ou globalisation ibérique, en tant qu'individus libres qui ont cherché à construire leur propre destin.

Il faut également noter que dans ces trajectoires des Afro-ibériques et des Luso-africains, se détache le savoir-faire de ces individus qui avaient d'importantes activités liées à la mer. Ainsi, il y avait des plongeurs, des capitaines, des pilotes, des maîtres et des maîtres d'équipage, et des propriétaires de leurs propres frégates, ce qui révèle une main-d'œuvre professionnelle qui s'est avérée indispensable dans la navigation de la période moderne.

De même, nous trouvons des femmes mulâtresses aubergistes et vendeuses qui, s'étant installées à Veracruz, avaient un commerce important dans cette ville qui était la porte de la terre et de la mer et la gorge de la Nouvelle Espagne. L'étude de la composante noire qui disposait d'une main-d'œuvre professionnelle nous invite à re-considérer ce groupe de la population coloniale, non pas comme des acteurs passifs, mais comme des individus qui ont participé à la construction d'une société coloniale par leur savoir-faire.

D'autre part, cette thèse se veut également une contribution à l'historiographie afro-mexicaine en développement, qui s'est construite sur la base de divers courants historiographiques. Nous cherchons principalement à intégrer la Nouvelle-Espagne à travers Veracruz dans l'historiographie atlantique et l'histoire noire atlantique, dans le but de porter l'historiographie afro-mexicaine au-delà des échelles régionales et nationales avec lesquelles le phénomène noir et la composante noire dans l'histoire mexicaine ont été analysés. Ce travail cherche également à faire en sorte que l'historiographie de l'histoire de l'Atlantique et de l'Atlantique noir tourne son regard vers la société novo-hispanique de l'époque moderne, qui entre les XVIe et XVIIe siècles est celle qui a accueilli le plus d'esclaves africains sur le continent américain.

Nous pensons que le fait d'examiner la société novo-hispanique et de l'intégrer dans l'espace atlantique à travers l'étude de la diaspora africaine nous permettra de voir l'histoire des Africains et de leurs descendants d'un point de vue plus complexe que la seule expérience de l'esclavage. Cela enrichira la discussion sur l'agency noire dans les trois continents qui ont fait partie de la diaspora africaine de l'Atlantique (Europe, Afrique et Amérique), permettant d'observer les similitudes, les différences et les contradictions entre les sociétés de la période moderne.