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El conde Lucanor de don Juan Manuel : construcción retórica y pensamiento político

El conde Lucanor de don Juan Manuel : construcción retórica y pensamiento político
06 / 03 / 2015
07 / 03 / 2015
Colloque

El conde Lucanor, ayant adopté le principe organisateur d’un recueil de formes brèves – exemples dans sa première partie, proverbes dans les trois suivantes –, peut être lu comme une expérience littéraire qui répète, avec des variations, quelques schémas formels afin de les perfectionner et de les doter de la plus grande efficacité rhétorique. Cependant, en insérant les séries correspondantes dans le dialogue de deux personnages fictifs, le texte se construit aussi comme une unité et s’efforce de contextualiser ses unités les plus petites dans un cadre narratif qui oriente le sens que l’on peut leur attribuer, déterminant en grande partie leur réception. Dans le cas des exemples, la configuration du cadre hérite des traits d’œuvres  sapientiales antérieures et en même temps se caractérise par un dispositif propre, plus complexe qu’il n’y paraît. L’exemple excède les limites du simple récit en faisant que celui-ci ne puisse être lu hors de la perspective individualisée du préambule de Lucanor et de l’orientation éthique que lui procure le conseil de Patronio. En outre, l’exemple comporte, en guise de prolongation du cadre narratif proprement dit, l’intervention de « don Johán », projection semi-fictionnelle de l’auteur dans son œuvre, à qui l’on attribue non seulement l’intégration de l’exemple dans le livre, mais aussi des vers conclusifs qui prétendent recueillir sa « sentence ». Enfin, du témoignage de l’un des manuscrits on déduit que cette formule textuelle était complétée par une miniature récapitulative. Pour ce qui concerne les proverbes des parties II à IV, bien que leur caractère sériel puisse entraîner la dispersion, au long de la lecture, de leur relation avec le cadre, ledit cadre ne disparaît pas et suggère une interprétation qui prenne en compte la relation conseiller/conseillé.

Or, si Don Juan Manuel élabore une construction rhétorique aussi particulière et complexe, qui concilie plusieurs niveaux discursifs, voix et points de vue, c’est sans doute parce qu’il la considère adéquate pour exprimer une pensée – à la fois éthique, sociale et politique – éloignée de tout simplisme et univocité. Dans El libro del caballero et del escudero et, surtout, dans El libro de los estados, œuvres qui recourent aussi à l’artifice littéraire du dialogue fictionnel, l’auteur exposait de façon systématique sa vision de l’ordre social et défendait de façon explicite sa thèse centrale, à savoir la compatibilité –pour ne pas dire la profonde solidarité– des prérogatives de l’estado nobiliaire avec le salut de l’âme : pour le grand seigneur, le plein exercice des obligations temporelles peut coïncider avec les plus hautes aspirations spirituelles. La partie V de El conde Lucanor, que ne manque pas de citer le Libro de los estados, adopte une formule d’écriture similaire, bien qu’elle utilise aussi des recours rhétoriques propres et qu’elle se présente comme le résultat de tout le processus d’écriture des parties antérieures. Si avant de revenir à l’exposition doctrinale, El conde Lucanor choisit les exemples et les proverbes, il faut supposer que ceux-ci permettent de formuler une pensée qui ne peut pas s’exprimer par une autre voie. Dans le cas de l’exemple, de nombreuses études, anciennes ou plus récentes, ont rejeté la conception purement instrumentale du récit et même sa supposée vocation à s’ajuster parfaitement au cadre : l’insertion des récits dans un cadre ne crée pas une redondance, ni même, parfois, une convergence, mais une tension, car toute analogie suppose certaine disconformité. Les travaux de María Jesús Lacarra, Marta Ana Diz, Laurence de Looze, Jonathan Burgoyne, entre autres, ont exploré les mécanismes de l’exemplarité dans El conde Lucanor et, depuis leurs propres prémices théoriques, tendent à dépasser l’idée d’une transparence didactique de l’exemple. La situation de Lucanor no se reflète pas généralement de façon exacte dans le miroir du récit exemplaire, de sorte que les correspondances entre récit et cadre peuvent être multiples et même contradictoires. En s’énonçant comme la mise en relation de plusieurs éléments hétérogènes – préambule de Lucanor, récit de Patronio, conseil de ce dernier, vers finaux de « don Johán », miniature – l’exemple s’offre à l’interprétation du lecteur comme un objet polyphonique et polysémique. Quant aux parties II, III et IV, même si nous comptons plusieurs études de valeur consacrées à leur logique d’ensemble – fondée sur le concept du « fablar oscuro », qui permet de rendre graduellement plus difficile le déchiffrement du texte –, il nous manque encore des travaux qui analysent de façon plus détaillée les proverbes comme un « discours du pouvoir », tant dans leur contenu que dans leur forme énonciative. Bien que la pensée éthique et politique de Don Juan Manuel, telle que celui-ci l’a exprimée dans El libro de los estados, soit reconnaissable dans telle ou telle formulationadoptée par les conseils de Patronio dans les vers de « don Johán » ou dans certains proverbes des parties centrales de l’œuvre, le recours à l’exemple et au proverbe permet de la doter d’une nouvelle base rhétorique et, par conséquent, d’un nouveau sens. Il existe de nombreux travaux consacrés aux idées politiques de don Juan Manuel et à sa conception du pouvoir mais à ce jour, rares sont les études (parmi lesquelles on peut détacher le livre de James Grabowska) qui essaient de relier son idéologie aux formes employées pour l’exprimer.

Comme hypothèse de travail, notre proposition pour cette journée d’étude est que, dans El conde Lucanor, l’exemple et le proverbe ne se contentent pas d’illustrer une idéologie préalable – bien qu’il soit évident que certaines positions théoriques de l’auteur préexistent à la rédaction de l’œuvre et la motivent même – mais qu’ils produisent aussi des idées qui requièrent la forme exemplaire ou sentencieuse pour s’exprimer avec toutes leurs nuances et leur complexité.

Les communications, sans aucun caractère limitatif, pourront prendre en compte quelques-uns des éléments suivants:

– L’exemple et le proverbe comme discours indirect renvoyant à la situation politique de Don Juan Manuel : récit à clefs, discours allusif, ironie, etc.

– L’étude des exemples qui transforment radicalement leurs sources et/ou, pour ceux dont la relation entre cadre, récit et vers produit des relations inattendues, des décalages, des lectures abusives, etc., ce qui favorise déplacements et nouvelles formulations d’idées.

– Les représentations de la relation conseiller/conseillé comme relation de pouvoir et la prise en compte, dans les récits ou entre les récits et leur cadre, de la duplication de ce couple : mise en abyme, parallélismes, (fausses) symétries, qui tendent à valoriser ou à dévaloriser certains personnages ainsi que le rôle politique que jouent ceux-ci. L’interprétation des proverbes des parties II à IV en fonction de la relation conseiller/conseillé du cadre.

– Les personnages à la fois individualisés et typiques d’une catégorie sociale (nobles, rois, clercs, hommes du tiers état, etc.) qui permettent d’établir des hiérarchies au sein des récits et/ou de figurer des valeurs sociales promues ou critiquées.

– Les proverbes des parties II à IV comme doctrine politique, la discrimination des lecteurs par le « fablar oscuro » et sa possible projection politique.

– La relation du pouvoir énonciatif avec le pouvoir politique, la construction de l’autorité concédée à certains personnages des récits, à Patronio ou à « don Johán », la brevitas du proverbe et son autorité.

– Construction rhétorique et idéologie politique dans la partie V, sa relation avec El libro de los estados, la représentation qu’elle donne de « don Johán ».

Localisation :

Université Paris-Sorbonne
75005
Paris