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Histoire et création littéraire en Espagne au Siècle d’Or : falsification et fiction
30 / 11 / 2018
30 / 11 / 2018
Journée d'études
Roland Béhar et Muriel Elvira

Histoire et création littéraire en Espagne au Siècle d’Or : falsification et fiction

Vendredi 30 novembre 2018

14h30-19h, salle 235C

Ecole normale supérieure, 29, rue d’Ulm, 75005 Paris

L’ objectif de la journée d’études est d’approfondir ce paradoxe : comment la méthode destinée à construire une vérité historique, a pu être mise au service de nouveaux types de fiction ?

On doit aux humanistes de la Renaissance l’élaboration d’outils conceptuels et techniques pour distinguer le vrai du faux, le factuel de l’inventé. La philologie naquit de cette exigence, tout comme les réflexions sur la méthode, chez Vives, El Brocense ou encore Bodin. Plus particulièrement, les historiens espagnols, tels A. de Morales ou A. Agustín, discutèrent longuement, de manière originale et clairvoyante, sur la méthode pour établir le vrai en histoire. La seconde moitié du XVIe siècle, cependant, fut le moment de profondes modifications du rôle que l’on fit jouer à cette méthode humaniste, mise au service des causes politiques de la monarchie de Philippe II et de ses héritiers, et des causes religieuses de l’Église post-tridentine.

Surgirent alors diverses opérations de falsification (fausses chroniques forgées par le jésuite Román de la Higuera, plombs du Sacromonte de Grenade) qui répondaient paradoxalement aux exigences scientifiques posées par l’humanisme, en offrant des « preuves » et des documents forgés sur mesure, pour la défense de certains intérêts. Parallèlement, les écrits d’Annius de Viterbe, à la fausseté pourtant déjà avérée, connurent une immense diffusion au XVIIe siècle en Espagne. L’historiographie espagnole du Siècle d’Or, en particulier locale, portera longtemps la trace de ce dévoiement des exigences de l’humanisme.

Quant à la fiction avouée comme telle, celle des romans, chez Cervantès en particulier, elle joue de ce paradoxe et elle met en intrigue les procédés de falsification et de vérification d'une manière de manière ingénieuse, propre à divertir les lecteurs et à peut-être à les faire réfléchir.

Org. Roland Béhar (ENS, CLEA) et Muriel Elvira (CLEA)

dans le cadre du séminaire  LEMH  (CLEA), dir. M. Blanco

Préinscription obligatoire pour entrer dans l’ENS

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14h30 Accueil des participants

14h45 Muriel Elvira, Roland Béhar, Introduction

15h00-15h45 Renaud Malavialle (Sorbonne Université, CLEA), Juan de Vergara vs Annius de Viterbe. Critique historique et épistémologie de l’histoire en Espagne au XVIe siècle

 L’essor de la critique historique moderne s’enracine dans l’Italie humaniste du Quattrocento. Les philologues italiens permirent un questionnement des modalités d'affirmation des plus grandes institutions, à l’instar de Lorenzo Valla (1407-1457), et les innovations historiographiques – de Bruni à Machiavel – contribuèrent à fonder une écriture critique de l’histoire en rupture avec les interprétations théologiquement ou idéologiquement orientées. D’autres auteurs produisirent en revanche de faux documents pour fonder abusivement des titres de gloire en faveur des institutions et grands de l’époque. Le plus célèbre d’entre eux, le moine italien Annius de Viterbe, publia dans ses Commentaria (1498) de prétendus fragments de Bérose, Manéthon et Caton, rédigés par ses soins. Grâce à ces inventions, il rédigeait des récits flatteurs des origines des grandes dynasties. Son succès auprès des princes obligea les humanistes à beaucoup de rigueur et de prudence pour dénoncer l’imposteur. Nous verrons comment Juan Luis Vives lança l’alerte, tandis qu’un autre disciple d'Erasme, le chanoine tolédan Juan de Vergara, entreprit une analyse minutieuse et implacable des écrits d’Annius. Nous montrerons comment Juan de Vergara procède pour prendre la mesure de son geste à l’époque, sans négliger d’en apprécier la postérité.

15h45-16h30 Roland Béhar (ENS, CLEA), Antonio Agustín et la critique épigraphique de la Renaissance

Dans les controverses des historiens et des humanistes espagnols de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle, l’œuvre d’Antonio Agustín (1517-1586) et, en particulier, ses Diálogos de medallas, inscriciones y otras antigüedades, publiés de manière posthume (1587) puis traduits en italien (1592) et en latin (1617), apparaît souvent comme l’exemple achevé de ce que la science antiquaire espagnole sut accomplir au XVIe siècle. De nombreux travaux, depuis ceux d’A. Grafton jusqu’à ceux de J. Carbonell Manils, ont mieux mis en lumière la portée de son œuvre pour des champs disciplinaires reliés entre eux mais aujourd’hui séparés comme le sont la rhétorique, l’histoire du droit, la philologie classique, l’épigraphie ou encore la numismatique. La communication examinera quelques cas illustrant l’efficacité de la méthode philologique d’Agustín, en particulier dans l’étude des inscriptions antiques.

 16h30  Pause

 17h00-17h45 Frédéric Alchalabi (Université de Nantes, CLEA) La fabrique de l’histoire. À propos de l’activité historiographique de la famille morisque Granada Venegas

À partir de la deuxième moitié du XVIe siècle, l’illustre famille morisque Granada Venegas s’est lancée dans un projet de grande ampleur. Celui-ci avait pour but de créer de faux documents – comme le Tratado del origen de los reyes de Granada attribué à Fernando de Pulgar – ou bien de détourner des témoignages authentiques afin de rendre hommage aux ancêtres musulmans et grenadins de la famille, le lignage Alnayar. L’ambition de la communication est d’analyser quelques-unes des pièces produites, en les situant dans leur contexte d’élaboration.

17h45-18h30 Cécile Vincent-Cassy (Université Paris 13, Pléiade) En quête de preuves visuelles. La fuerza de la sangre et la littérature hagiographique de son temps

La littérature hagiographique, au sens large (les textes qui portent sur les saints, pas seulement les récits de légendiers), a été au XVIIe siècle un terrain absolument central pour les humanistes post-tridentins pour se questionner sur la construction de la vérité de l’histoire, sur les voies de sa restitution, sur la façon d’établir les preuves, sur les traces de l’histoire sainte que l’on pouvait exhumer en Espagne, et sa continuité jusqu’à leur époque. Des spécialistes comme Fabien Montcher ou Patricia Marín Cepeda ont établi l’inscription de l’œuvre de Cervantès (1547-1616) dans la production de cette république des lettres à laquelle appartinrent des figures aussi diverses qu’Esteban de Garibay (1533-1600), Jerónimo Román de la Higuera (1538-1611) ou Francisco de Pisa (1534-1616), auteur d’une chorographie de Tolède. En tenant compte de leurs apports, nous souhaitons examiner l’écho que l’on trouve des questionnements sur la preuve par l’image et ses interprétations dans la nouvelle La fuerza de la sangre, publiée dans le recueil des Novelas ejemplares en 1613. L’héroïne, baptisée Leocadia par le narrateur, porte le nom de la sainte patronne de Tolède dont Francisco de Pisa était en train de rédiger l’hagiographie quand Cervantès écrivait sa nouvelle. Sainte Léocadie a pour attribut principal un crucifix. L’héroïne de la nouvelle utilise elle aussi un crucifix : comme preuve du viol dont elle a été victime.

 

18h30-19h00 Conclusion