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SUR. Mercader, perfiles
16 / 10 / 2017
25 / 10 / 2019
CHECLA : Civilisation et histoire de l'Espagne classique, LEMH : Littérature de l'Espagne et du monde hispanique au Siècle d'Or
Araceli GUILLAUME-ALONSO, Béatrice PEREZ, Maria ZERARI
Sorbonne Universités, Universidad de Sevilla, Università Ca'Foscari Venezia

 SÉMINAIRE INTERNATIONAL

SUR

(Séminaire Universitaire de Recherches) 

Le marchand. Variété des figures

Mercader. Perfiles

José Jaime García Bernal, Araceli Guillaume-Alonso, Valle Ojeda, Béatrice Perez, Piermario Vescovo, Maria Zerari

Le séminaire de recherche que nous souhaitons mettre en place a cette particularité de mêler divers domaines scientifiques et divers lieux géographiques autour d’un thème fédérateur et ample « Le marchand. Variété des figures (El mercader. Perfiles) ». Il s’agit d’une association qui lie entre eux des littéraires spécialistes du Siècle d’or de l’université de la Ca Foscari de Venise (Maria del Valle Ojeda et Piermario Vescovo) ; des historiens modernistes de l’université de Séville (José Jaime García Bernal et l’équipe ANDATLAN) ; et principalement deux membres de CLEA, l’une spécialiste de littérature du Siècle d’or (Maria Zerari) et l’autre, spécialiste de civilisation de l’Espagne moderne (Béatrice Perez). Les raisons de ces choix, tant pluridisciplinaires que géographiques, ne doivent rien au hasard et ont été longuement muries. En premier lieu, la thématique d’ensemble recoupe des intérêts qui sont apparus concordants au gré de nos recherches collectives. Les modernistes de CLEA (EA 4083) et les historiens d’ANDATLAN (I+D financé par le Ministerio de Economía y Competitividad) travaillent depuis plusieurs années sur le négoce et les figures complexes du marchand, castillan, flamand, génois, banquier, comptable, armateur, oligarque ou majordome pour le compte des élites ecclésiastiques, noble, mécène, écrivain à ses heures, etc.

 Au cours de recherches de membres de CLEA (Béatrice Perez), en tentant de cerner cette perception que la société avait du marchand, nous nous sommes rendu compte de son extrême volatilité : tantôt humaniste et œuvrant au bien de la Respublica en fomentant les échanges entre « nations » – dans le sens que lui concède la société du XVIe siècle (nations étrangères ayant droit de cité dans la ville) –, tantôt homme cupide et zélateur de Mammon, qui ne peut demeurer sans parjurer ni tromper son prochain. À l’évidence, travailler sur la figure du marchand requiert une périodisation très fine pour dire avec justesse l’insertion de celui-ci dans la société. Du marchand (scruté à l’aune de sa culture, de sa formation, de ses livres de comptes, des outils qu’il met en place) – en somme de l’intime, de l’endogène –, jusqu’à la société elle-même (par le biais du regard qu’elle porte sur la communauté marchande, tantôt réprobateur à l’endroit des techniques de change, tantôt élogieux devant l’utilité sociale de l’art de la marchandise) – l’exogène –, la réflexion engage des thématiques vastes et variées. Un thème retenu en priorité pour le séminaire international SUR porte ainsi sur la formation du marchand et sur la nature des savoirs qu’il met en pratique. Formation et savoirs : ce sont là deux pans d’analyse qui, sans doute, permettent de livrer, en clair-obscur le reflet idéal d’une perception de soi, d’un idéal humain vers lequel on tend secrètement.

 Toutefois, poser comme objet de réflexion la figure du marchand requiert de sonder – par-delà la vision archivistique et historique de l’étude – la variété des textes théoriques ou scolastiques, des œuvres théâtrales, des romans, de la picaresque, des modes, qui éclairent d’un jour nouveau le rôle du marchand dans la société. Portrait à la grisaille ou « retrato a lo divino », homme de comptes ou de lettres, ambitieux ou mécène, avide de pouvoir autant que de reconnaissance sociale, le marchand n’est pas un archétype, ni même une figure aisée à cerner. Il est une réalité profondément complexe, qui rechigne à se dire autrement que dans la pluralité et dans la pluridisciplinarité. Du Génois investissant dans le commerce transatlantique à celui que brosse Quevedo, du « mercader hombre universal » de Tomás de Mercado ou du Mercader amante de Gaspar de Aguilar : c’est un caléidoscope de regards portés sur le marchand que l’on ne peut saisir sans l’étude littéraire.

 Figure historique largement glosée et mise en lumière par les traités politiques, les discours et les témoignages qui parurent en Espagne dans les années 1520-1620, dans une optique littéraire, la figure du marchand, telle qu’elle se reflète dans la littérature du Siècle d’Or, fait donc particulièrement sens et image(s). Avec plus ou moins d’insistance, de face ou de profil, ce « héros urbain », traditionnellement mis à mal par l’idéologie nobiliaire et par la pensée chrétienne (procès antijudaïque de l’usure, de la cupidité et de l’argent), parcourt des textes en tout genre. Tel cet Antonio, le mélancolique « marchand de Venise », né dans un recueil de novelle italiennes du XIVe siècle (Il pecorone de Giovanni Fiorentino) pour intégrer, sans doute dans les années 1596-97, l’une des « comédies » les plus énigmatiques et problématiques de Shakespeare, en Espagne, on le trouve dans des textes majeurs [le Guzmán de Alfarache (1599-1604) ; la première partie de Don Quichotte (1605), ou le Buscón de Quevedo (1626)], tout comme dans des « petits » récits, tenus pour mineurs à leur époque : qu’il s’agisse des fascinantes nouvelles cervantines ou de la prolifique novela baroque, ces populaires héritières de la nouvelle italienne, catégorie « bourgeoise » par excellence, où les thèmes de l’argent et du commerce sont si présents.

 Outre sa présence dans les « petits » et les grands romans, teintés de « réalisme » et portés par des discours qui témoignent des débats politico-sociaux de leur temps, le marchand, en tant que personnage ou que référent, se donne aussi à voir dans la comedia, laquelle peut même faire en sorte de le valoriser (El mercader amante de Gaspar de Aguilar ; Las firmezas de Isabela (1610) de Góngora, etc.), ou encore, plaisamment ou durement dévalué, dans la poésie et la prose satiriques ayant émané, entre autres, de certaines des grandes plumes du XVIIe siècle (Letrillas de Góngoras ; Sueños y discursos de Quevedo, etc.), sans parler des livres de proverbes et des livres d’emblèmes. Partir sur les traces textuelles de la figure du marchant semble bien revenir, en somme, à entreprendre un parcours textuel, et pas seulement d’ordre thématique, remarquablement prometteur au sein de la bibliothèque du Siècle d’Or.

Le premier objectif du séminaire demeure celui du nécessaire dialogue entre littéraires et historiens des périodes modernes, d’autant que le thème exige que le travail commun et contrasté pose fermement la périodisation et les différentes formes d’appréhension du marchand moderne pour mieux en dessiner les contours. Travailler ensemble, de part et d’autre des frontières – artificielles mais difficiles à franchir parfois – entre littéraires et historiens nous semble une nécessité scientifique. Ce n’est qu’à ce prix que nous pouvons apprendre, ensemble, à créer des synergies de réflexion, préludes à des projets de plus grande envergure, requérant une confiance qui ne naît que du travail quotidien mené conjointement.

C’est ensuite un double défi scientifique que nous souhaitons relever avec SUR. En premier lieu, il s’agit de parvenir, en croisant les regards, à mieux comprendre le rôle social du marchand, son insertion dans un monde qui n’est plus celui de la marchandise, mais qui implique que celui qui détient la richesse ne puisse s’imposer sans maîtriser les codes et les usages des sociétés urbaines, des cercles nobiliaires, des cénacles littéraires et des sociétés de cour. En second lieu, nous souhaiterions opérer un basculement méditerranéen. En effet, les modernistes de CLEA travaillent depuis quelques années avec les historiens sévillans d’ANDATLAN sur des questionnements liant la question marchande aux horizons transatlantiques. Sans nul doute, ces horizons américains ont introduit une multiplicité d’attitudes nouvelles ; de vocables nouveaux (tels mercader a Indias, cargador a Indias, Indiano) ; de portraits littéraires topiques. Pour autant, ce tropisme américain ne peut / ne doit guère occulter la grande variété de marchands sillonnant la Méditerranée − centrale au xviie siècle − et que l’on abandonne souvent dans un angle mort de la recherche au profit, justement des nouveaux espaces atlantiques. Des îles Baléares vers l’Afrique, de Valence vers le sud de l’Italie et les îles grecques, de Málaga vers la Sicile et les ports de la côte magrébine, les échanges mettent-ils en jeux les mêmes prérequis que ceux du marchand outre atlantique ? Les qualités pour commercer entre ces deux zones frontalières qui se toisent, ces deux mondes qui s’observent, s’épient et s’apaisent parfois au gré des conflits armés et des temps de paix en Méditerranée sont-elles les mêmes ? 

C’est avec ce souci d’éduquer le regard pour ne jamais perdre de vue la Méditerranée que la composante de civilisation moderne de CLEA a porté le projet de Sorbonne Universités d’humanités Numériques NUMA. Observer les marchands de Málaga qui orientent le marché vers l’approvisionnement des terres de la côte africaine et le négoce à destination des pays traditionnels du commerce européen ­– où les produits demeurent rentables, tel le pastel du sud de la France, le blé de Sicile, les épices d’orient, etc. – permet sans cesse de garder le regard tourné vers l’Italie et l’Europe méditerranéenne afin de contrebalancer le poids d’un monde américain écrasant.

Le choix de Venise comme co-partenaire dans cette entreprise SUR s’est imposé comme une évidence pour diverses raisons. La première tient à la particularité de la cité des doges au moment de la « prépondérance espagnole » : membre de l’alliance catholique (Etat pontificaux, Venise, Gênes, Duché de Savoie, Ordre de Saint Jean), mais sans lien politique inféodé à la monarchie catholique. Elle occupe de la sorte une situation politique très intéressante de contre-point au modèle hispanique. Rappelons que la Méditerranée est une zone d’influence majeure de l’Espagne (couronnes de Castille et d’Aragon), présente, par le biais de ses vice-rois, à Naples, à Milan, en Sardaigne, en Sicile, etc., ou même en Afrique du Nord (par le truchement de gouverneurs qu’elle tente de placer en lieu et place des beys sous influence ottomane).

Valence aurait pu être ce balcon privilégié sur la Méditerranée … n’eût été ce destin commun des couronnes aragonaise et castillane qui en faisait un choix trop conditionné. Nous incluons dans la réflexion des historiens valenciens (dont certains travaillent spécifiquement sur la formation des marchands) pour contraster les définitions. La seconde, non moins légitime, tient aux relations privilégiés qu’entretiennent des membres d’ANDATLAN et de CLEA avec la personne titulaire de la chaire de littérature de l’Espagne du Siècle d’or de l’université Ca Foscari (María del Valle Ojeda). Dans cette alliance tripartite, plusieurs co-porteurs se sont investis, créant des binômes opérant ensemble ou en quinconce (les civilisationnistes de CLEA et historiens de ANDATLAN ; les littéraires de CLEA et les littéraires de la Ca Foscari ; les historiens d’ADATLAN et les littéraires de la Ca Foscari). Il nous faut préciser que CLEA est une équipe qui offre cette particularité grande et heureuse de mêler ensemble littéraires et civilisationnistes qui déjà travaillent de concert.

Dans tous les cas, ce séminaire international SUR mis en place à Séville ne prétend pas épuiser la thématique, et de fait, il n’est conçu que comme le premier d’une série de trois séminaires que nous voudrions réunir par la suite, à Venise, puis à Paris, sur une période de deux ans. Durant ce programme de séminaires suivis, nous espérons saisir le marchand moderne en ronde-bosse.

Le premier séminaire de Séville mêle ainsi des littéraires et des historiens autour de deux journées de recherches, avec des invités en nombre restreint pour laisser la place au dialogue, au travail de réflexion permettant de soulever et d’identifier tous les questionnements qui demeurent mal connus, voire méconnus. Le thème central nous semble prometteur et nous avons identifié préalablement de nombreux champs de réflexion (Marchands et mécénat ; commerce et diplomatie ; prédication à destination des marchands ; corporations marchandes : fêtes et célébrations ; théâtre : commerce et marchandise ; marchand et genres littéraires, etc.).

SEMINAIRE SEVILLE (octobre 2017)

- Première journée : Le marchand : un homme de savoir(s) (El mercader : Un hombre de saberes)

- Deuxième journée : Le marchand au miroir des genres (El Mercader en el prisma de los géneros)

SEMINAIRE VENISE (octobre 2018)

- Première journée: Mercancía y cultura urbana

- Deuxième journée: Mecenazgo mercantil y mercaduría téatral