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L'Élégie du désastre. De l'archive à l'Histoire

L'Élégie du désastre. De l'archive à l'Histoire
22 /02 / 2019
CHECLA : Civilisation et histoire de l'Espagne classique
Béatrice PEREZ
Dans la langue de tous les jours, la « catastrophe » cristallise l’idée d’événement soudain et brutal venant tordre le cours habituel et serein des choses. Le vocable, en soi, ne dit rien de la gravité de l’évènement, de sorte que des petits riens de la vie quotidienne deviennent vite des « catastrophes ». La raison en est l’extrême plasticité du terme : dense et grave, qualifiant tantôt un fléau naturel, tantôt un désastre militaire, un drame sentimental, ou encore le dénouement d’une tragédie. Pour bien en comprendre la polyphonie, il faut revenir aux origines du mot permettant de saisir les inflexions du sens. « Désastre » renvoie, en lui-même, à la dimension humaine de toute catastrophe, indépendamment de sa forme narrative et, sans cette dimension, il n’y aurait point de catastrophe.
Qu’elle soit calamité naturelle, désastre historique ou fait politique, la catastrophe est avant tout une construction sociale, l’affaire des hommes qui en souffrent et la chantent sur divers modes pour la rendre alors pensable et supportable.
Telle que nous l’avons envisagée dans ce livre, elle est essentiellement une construction théorique, prenant la forme d’un système narratif de causes liées fatalement entre elles et annonçant le funeste dénouement. Complainte humaine, la catastrophe métaphorique se décline sur le mode élégiaque (pour mieux apaiser la souffrance) ; poétique (en cela que le vers réintroduit ordre et douceur dans le chaos du désastre) ; testimonial (lorsque le passage à l’acte d’écrire devient une reconstruction du témoin par-delà la déchirure humaine) ; propagandiste ou publiciste. Dans la distance et le temps, la catastrophe devient le motif idéologique d’une écriture à finalité politique. Aussi, de façon pragmatique, la catastrophe se décline-telle à travers le vaste champ des représentations discursives. Les corpus interrogés sont divers et très variables d’un auteur à l’autre (codex, récits, chroniques, poèmes, lettres, BD, gazettes, récits nationaux, discours) et tous traitent la catastrophe sur les modes du pathos, pour émouvoir, toucher, séduire, rassembler, construire des légitimités nouvelles et des exemplarités anciennes. La chose est tellement vraie qu’elle est devenue, parfois, prétexte à la lamentatio collective, puis à la constitution d’une identité nationale, enfin à l’élaboration d’une mémoire agglutinante, en somme, un prétexte à la construction sensible de l’Histoire.
 

L'Élégie du désastre. De l'archive à l'Histoire,

Laura Brondino, Rodrigo Díaz Maldonado, Béatrice Perez (dir.)

Paris, Éditions Hispaniques, Instituto de Investigaciones Históricas, 2019

Dans la langue de tous les jours, la « catastrophe » cristallise l’idée d’événement soudain et brutal venant tordre le cours habituel et serein des choses. Le vocable, en soi, ne dit rien de la gravité de l’évènement, de sorte que des petits riens de la vie quotidienne deviennent vite des « catastrophes ». La raison en est l’extrême plasticité du terme : dense et grave, qualifiant tantôt un fléau naturel, tantôt un désastre militaire, un drame sentimental, ou encore le dénouement d’une tragédie. Pour bien en comprendre la polyphonie, il faut revenir aux origines du mot permettant de saisir les inflexions du sens. « Désastre » renvoie, en lui-même, à la dimension humaine de toute catastrophe, indépendamment de sa forme narrative et, sans cette dimension, il n’y aurait point de catastrophe.

Qu’elle soit calamité naturelle, désastre historique ou fait politique, la catastrophe est avant tout une construction sociale, l’affaire des hommes qui en souffrent et la chantent sur divers modes pour la rendre alors pensable et supportable.

Telle que nous l’avons envisagée dans ce livre, elle est essentiellement une construction théorique, prenant la forme d’un système narratif de causes liées fatalement entre elles et annonçant le funeste dénouement. Complainte humaine, la catastrophe métaphorique se décline sur le mode élégiaque (pour mieux apaiser la souffrance) ; poétique (en cela que le vers réintroduit ordre et douceur dans le chaos du désastre) ; testimonial (lorsque le passage à l’acte d’écrire devient une reconstruction du témoin par-delà la déchirure humaine) ; propagandiste ou publiciste. Dans la distance et le temps, la catastrophe devient le motif idéologique d’une écriture à finalité politique. Aussi, de façon pragmatique, la catastrophe se décline-telle à travers le vaste champ des représentations discursives. Les corpus interrogés sont divers et très variables d’un auteur à l’autre (codex, récits, chroniques, poèmes, lettres, BD, gazettes, récits nationaux, discours) et tous traitent la catastrophe sur les modes du pathos, pour émouvoir, toucher, séduire, rassembler, construire des légitimités nouvelles et des exemplarités anciennes. La chose est tellement vraie qu’elle est devenue, parfois, prétexte à la lamentatio collective, puis à la constitution d’une identité nationale, enfin à l’élaboration d’une mémoire agglutinante, en somme, un prétexte à la construction sensible de l’Histoire.